Une souffrance psychique indicible
A l’origine, il y a une profonde souffrance intérieure qui ne peut pas s’exprimer parce qu’elle n’a pas été mise en mots : elle est donc indicible. Les automutilations marquent le signe de cette souffrance sur la peau et témoignent de l’incapacité du jeune à la mettre en mots.
Le déplacement de l’angoisse sur le corps
Comme l’adolescent ne peut pas formuler sa souffrance, il la met en action en se coupant, en s’incisant la peau, parfois en se brûlant. La souffrance est alors tangible, apparente ce qui va soulager temporairement le psychisme. L’angoisse va s’atténuer pour un temps.
Une solution paradoxale : se faire mal pour éviter d’avoir mal
L’adolescent va se faire mal pour éviter d’avoir mal. C’est la solution paradoxale qu’il a trouvée. Certes elle n’est pas protectrice mais c’est souvent la seule dont il dispose.
Les causes de cette souffrance :
Les causes de cette souffrance sont multiples et dépendent du vécu des jeunes mais elles correspondent aux thèmes suivants :
- Une difficulté à exprimer les émotions
Les adolescents qui s’automutilent ont souvent des difficultés à exprimer ce qu’ils éprouvent. Ils ne sont pas en mesure de supporter certaines émotions. La peur, l’angoisse sont difficiles à réguler. La rupture amoureuse est éprouvante quand elle réveille des vécus d’abandon. Par ailleurs, la pression parentale liée aux résultats scolaires est parfois écrasante. Les émotions sont aussi plus ou moins bien tolérées dans certaines familles où il est par exemple difficile d’exprimer sa colère, sa frustration, sa tristesse. Les jeunes peuvent enfin être débordés par les affects des autres. Fonctionnant comme des éponges émotionnelles, ils absorbent les émotions de leurs proches, émotions qu’ils ne sont pas à même de supporter.
- Une réappropriation du corps
La puberté est un véritable tsunami physique : l’adolescent peut un temps se sentir comme étranger à son corps qu’il va chercher à se réapproprier de plusieurs façons et la scarification est l’une d’entre elles. Certains vont aller chercher les limites de leur corps, d’autres vont chercher paradoxalement à se réanimer : ils vont se couper pour se sentir vivants. La douleur physique mais aussi la vue du sang va alors restaurer la sensation d’exister.
Les attaques au corps, les scarifications sont des signes de détresse, des marqueurs de souffrance d’une grande ambivalence. Elles sont à la fois cachées et comme en attente d’un destinataire.
- Une quête identitaire
La période de l’adolescence vient poser la question de l’identité. Le jeune a besoin de répondre à cette question fondamentale : « Qui suis-je ? »
- « Qui suis-je par rapport à mes parents ? » va faire intervenir les problématiques liées à la filiation, à la difficulté de se séparer, au vécu d’abandon. L’adolescence est un moment de rupture avec les figures parentales. Les liens relationnels familiaux vont être éprouvés. Il va falloir couper momentanément pour défusionner, pour trouver son espace psychique, pour symboliser la séparation.
- Qui suis-je par rapport aux autres ? va faire appel aux questions liées à l’identité et à l’orientation sexuelles (Est-ce que je vais plaire ? Qui je vais aimer ? Quel est mon genre ? Est-ce que je m’identifie au féminin, au masculin voire au neutre ?), à la place dans la société (Comment je me rapproche, comment je me différencie des autres ?). L’adolescence correspond à un moment de flottement identitaire. Se couper de certaines certitudes pour les réévaluer, pour s’affirmer.
Cette quête d’identité chez les adolescents s’éprouve par le corps. Pour rappel, les scarifications rituelles fonctionnaient comme de véritables cartes d’identité : les marques renvoyaient à un groupe précis, socialement identifié par les autres.
- L’absence de rituels de passage
Auparavant, le parcours de vie était jalonné par des rituels religieux (baptême, communions, mariage, enterrement) ou sociaux (service militaire, fêtes, commémorations). Notre société actuelle est devenue pauvre en rituels de passage. Se couper, inciser sa peau comme le font certains jeunes comporte une dimension proche du rituel et leur donnerait le sentiment d’appartenir à une communauté particulière, très présente sur les réseaux sociaux. Les scarifications actuelles viendraient mimer les scarifications rituelles avec cette différence majeure que les premières ne sont pas reconnues sur le plan social et sont synonymes de souffrance.
Les tentatives de solutions pour se libérer de son angoisse mises en place par l’adolescent sont difficiles à tenir sur le long terme et le mettent en danger car le fait de se couper est un geste addictif (cf. article « l’automutilation comme un geste addictif »).